Le 8 mai 1945, les Alliés gagnaient la guerre face aux forces nazies. Chaque année, nous célébrons ce jour comme l’anniversaire de la fin du conflit le plus meurtrier de l’Histoire. Aujourd’hui, pour les 70 ans de l’événement, des militants du Parti de Gauche ont organisé, en petit comité, une commémoration politique entendant honorer la mémoire des Résistants et du Conseil National de la Résistance.
Les organisateurs de la commémoration devant l’entrée du 48, rue du Four. Une gerbe a été déposée. (Photo Roxane Duboz)
Drapeaux rouges et chants partisans
L’événement a été lancé sur les réseaux sociaux, il y a trois ou quatre jours seulement. Paul Vannier, secrétaire départemental du Parti de Gauche Paris, accompagné de Djordje Kuzmanovic, le responsable national du parti pour les questions relatives à la défense, sont à l’origine de l’initiative. Ils se satisfont de la présence d’une petite centaine de personnes, des militants essentiellement. « C’est aussi l’occasion pour nous de partager notre culture politique, par les chants et les lectures, d’affirmer notre identité », explique Paul Vannier.
En effet, dès midi, l’ambiance est clairement militante. Sous les regards interloqués des passants, le rouge des drapeaux se découpe sur le gris du ciel et la sonorisation fait monter des chants partisans contre les façades du sixième arrondissement. Au programme de la cérémonie, qui dure à peine plus d’une heure, des prises de parole de responsables du parti (le coordinateur général Eric Coquerel, Djordje Kuzmanovic), de sympathisants et enfin de Jean-Luc Mélenchon, ancien coordinateur et député européen. Ce dernier sourit à la vue de ses « camarades » : « C’est incroyable qu’ils aient eu cette idée ! Moi je n’y suis pour rien, j’ai répondu à leur invitation », glisse-t-il.
Le lieu fut choisi à propos : 48, rue du Four. C’est là que fut tenue, le 27 mai 1943, la première réunion clandestine du CNR, le Conseil National de la Résistance, présidé par Jean Moulin. En installant, à quelques pas de là, leur petit chapiteau rouge, les militants du Parti de Gauche ont voulu symboliser leur attachement à la mémoire des Résistants français qui ont œuvré pour la libération du pays.
Car au sein du Parti de Gauche, on se sent les héritiers directs de l’esprit de la Résistance et du programme politique issu du CNR. « C’est une référence pour notre idéologie politique », affirme Djordje Kuzmanovic. « Nous aimons organiser ce genre d’événement, qui ravive la mémoire de ceux qui ont marqué l’Histoire. Ainsi, nous expliquons d’où vient la gauche. », ajoute Paul Vannier. Une gauche qui se revendique radicale, résistante et révolutionnaire ; ainsi, l’an dernier, les deux militants ont organisé un hommage à Robespierre pour le 220ème anniversaire de sa mort.
Au cours de la cérémonie, on aime à honorer, derrière l’ensemble des Résistants de la seconde guerre mondiale, l’idéologie communiste. Ainsi, la touchante lettre d’adieu de Missak Manouchian, poète et grand militant, a été lue ; l’Internationale a été entonnée lors du dépôt de gerbe devant la porte du 48 de la rue du Four ; plusieurs allusions ont été faites aux actuelles commémorations de la Russie et à la participation glorieuse de l’URSS dans le conflit. La France de Hollande, qui serrait ce matin la main de John Kerry devant la statue du général de Gaulle, a été pointée du doigt pour sa non participation à la commémoration russe, qui se tiendra le 9 mai.
Lors du discours de Jean-Luc Mélenchon (photo page Facebook – Jean-Luc Mélenchon)
Le programme des « jours heureux » du CNR
Le Conseil National de la Résistance, le cœur de cette commémoration annoncée sur internet, a été mis à l’honneur par la lecture de son programme politique, initialement intitulé « programme des jours heureux ». « Un texte qu’on évoque avec le sourire, qui met en place des choses très contemporaines », pour Jean-Luc Mélenchon.
Ce programme politique, voté à l’unanimité par le CNR le 15 mars 1944, n’a jamais été officiellement adopté par les gouvernements d’après-guerre, mais nombre de ses indications ont été appliquées et constituent jusqu’à nos jours le fondement de la cinquième République. Le texte proposait deux types de mesures.
Premièrement, des mesures d’urgences sont inscrites dans un « Plan d’action immédiat », visant à participer activement à la libération du territoire français, par la lutte armée et la reconnaissance du général de Gaulle comme chef. Puis, viennent des mesures pensées pour l’après-libération : elles sont politiques, économiques et sociales, et vont dans le sens d’un État protecteur et garant des libertés.
La démocratie comme modèle politique, le suffrage universel (incluant désormais les femmes, participantes elles aussi à la Résistance) et la liberté de la presse étaient réaffirmés pour la France libérée de la domination allemande.
Du point de vue économique, le programme prévoit la mise en place d’une « démocratie économique et sociale, impliquant l’éviction des grandes féodalités économiques et financières de la direction de l’économie ». Les nationalisations, « retour à la nation des grands moyens de production monopolisée », sont souhaitées, dans un contexte de reconstruction et de réappropriation territoriale.
Sur le plan social enfin, les idées du CNR sont le creuset de la tradition d’État providence français. Sont prévus un réajustement des salaires, le rétablissement du syndicalisme et des « délégués d’atelier » pour garantir les droits des travailleurs, et surtout « un plan complet de sécurité sociale, visant à assurer à tous les citoyens des moyens d’existence, dans tous les cas où ils sont incapables de se le procurer par le travail, avec gestion appartenant aux représentants des intéressés et de l’État ».
Le texte est aujourd’hui revendiqué comme ligne idéologique et plan d’action politique par des personnalités qui contestent l’ordre économique actuel : le réalisateur Gilles Perret en a fait l’objet d’un documentaire, Les jours heureux, sorti en novembre 2013.
Jean-Luc Mélenchon et Eric Coquerel, après la cérémonie (Photo Roxane Duboz)
Résister, une exigence toujours d’actualité ?
L’engouement suscité par la (re)découverte, dans les milieux militants, du CNR et de son programme politique, semble répondre à une contestation croissante vis-à-vis des dysfonctionnements du monde actuel. La résistance serait-elle encore nécessaire aujourd’hui, dans une France libre et démocratique ?
C’est en tout cas ce qu’affirmaient aujourd’hui ces militants, dans la rue qui a vu naître une grande organisation libératrice de la France. Car les dangers existent, et se montrent parfois au grand jour.
Ainsi, ont été cités pêle-mêle le parti de droite nationaliste et conservateur Fedesz en Hongrie, la Ligue des familles polonaises et ses textes antisémites, des commémorations nazies en Estonie et Lettonie. Mais surtout, largement fustigée par Jean-Luc Mélenchon dans son discours, la récente déclaration de Robert Ménard, assumant établir des statistiques ethniques pour les écoliers de Béziers dont il est le maire. « Nous célébrons l’œuvre du CNR tout autant que nous nous rappelons des circonstances dans lesquelles elle s’est créée : c’était la victoire contre les nazis, ces mêmes nazis qui semblent justement de retour aujourd’hui », s’inquiète Jean-Luc Mélenchon. Autant d’exemples qui font penser à « un fascisme qui se réveille », selon les dires de Djordje Kuzmanovic, face à lequel notre génération a à mener « un combat ».
Combattre, résister, c’était aussi ce qu’invitait à faire un résistant de la première heure, Stéphane Hessel. Dans son opuscule au succès mondial publié en 2010, Indignez-vous, le vieil homme, décédé depuis, fait du programme du CNR la base de son engagement politique fervent. Il appelle tout un chacun à l’indignation, marque de la conscience citoyenne et moteur de l’engagement.
A l’heure où les dérapages en marge de l’éthique républicaine se font voir, au jour où l’on se souvient de la fin de l’épisode le plus sombre de l’Histoire de France, il était finalement de bon ton de saluer la mémoire de ceux qui résistèrent. Jean-Luc Mélenchon a choisi d’évoquer le courage de Jean Moulin, jeune préfet de Chartes qui refusa jusque sous la torture de signer un document calomnieux et injurieux envers des tirailleurs sénégalais, avant d’engager sa vie dans l’organisation de la libération.
Il l’a choisi, mais, ajoute-t-il, « il représente tous les Résistants ». Ceux d’hier, comme ceux d’aujourd’hui et de demain.