Ce n’est pas faute d’avoir prévenu : la réforme territoriale et le redécoupage de la France en 13 maxi-régions métropolitaines avaient pour corollaire inévitable la réforme de l’État, sa réorganisation, la redéfinition de ses missions et de la place du service public. Alors que le projet de loi portant nouvelle organisation territoriale de la République (NOTRe) revient au Parlement pour une seconde lecture à la fin du mois, la réforme de l’État bat elle aussi son plein. Mais à couvert, et en abandonnant ce qui fait sens pour notre appartenance nationale.
Le gouvernement a ainsi présenté le 22 avril en Conseil des ministres les principes et le calendrier de la réforme de l’État. Il en fut retenu la nomination de sept préfets « préfigurateurs » dans les nouvelles régions fusionnées. L’important, ce ne sont pas les préfets, c’est ce qu’ils préfigurent. Ils sont en effet chargés d’ici l’été « de coordonner la réforme, de conduire le dialogue avec les élus et les organisations syndicales, pour arrêter le projet territorial à la base de la réforme ». Ils vont s’appuyer pour cela sur deux réformes structurantes : la revue des missions et la nouvelle charte de la déconcentration.
La revue des missions
La revue des missions, engagée à l’automne 2014 par Thierry Mandon, secrétaire d’état à la réforme de l’État et à la simplification, vise à « réinterroger l’action de l’État pour répondre à la demande toujours aussi pressante de son intervention, dans un contexte de ressources financières limitées, ce qui nécessite un recentrage et une meilleure efficacité ».
Thierry Mandon a commandé pour cela un rapport remis le 13 avril par Jean Pisani Ferry, commissaire général de France Stratégie (voir encadré). Sans surprise, ce rapport considère que la revue générale des politiques publiques (RGPP) sarkozyste et la Modernisation de l’action publique (MAP) hollandaise n’ont pas encore été assez loin. Il faudrait pour France Stratégie baisser de 6 points de PIB la dépense publique. L’État devrait alors se contenter « d’être présent là où il est le plus irremplaçable » et « se désengager des fonctions » qui pourraient être assurées par d’autres. Reprenant à son compte la formule du renoncement de Lionel Jospin, le rapport réaffirme que « l’État ne peut pas tout » et encourage le recours à des initiatives privées.
Le prix à payer pour mettre en œuvre cette politique, c’est l’implosion de l’organisation de l’État. Dès le 12 novembre 2014, Thierry Mandon annonçait d’ailleurs : « L’action publique doit se transformer profondément. Elle doit être capable de mettre en œuvre des stratégies de différenciation et de personnalisation, selon les publics et les territoires ». Pour Thierry Mandon, le service public à la carte, c’est une carte explosée du service public. La révision de la charte de la déconcentration est là pour y conduire.
La charte de la déconcentration
Le décret de celle-ci a été publié le 7 mai. Pourtant, le 27 avril, lors du Conseil supérieur de la Fonction Publique de l’État (CSFPE), la CGT, FO, la FSU et Solidaires avaient voté contre ce texte, la CGC, l’UNSA et la CFDT s’abstenant. Peu importe pour le gouvernement. Vu l’enjeu, il est une fois encore passé en force.
Cette charte de la déconcentration traduit, selon le compte-rendu officiel du Conseil des ministres du 6 mai, « le renversement du principe d’organisation, en reconnaissant l’initiative au niveau local, et la nécessité pour les administrations centrales d’adapter leurs modes de fonctionnement aux enjeux de l’administration déconcentrée. Cela peut autoriser des organisations différentes selon les territoires, en fonction des réalités locales (principe de modularité) ».
Et de fait, elle régionalise l’administration de l’État. Là où la charte de la déconcentration jusqu’alors en vigueur affirmait que « la déconcentration est la règle de répartition des attributions et des moyens entre les différents échelons des administrations civiles de l’État », la nouvelle charte de la déconcentration stipule dès son article 1er que « la déconcentration consiste à confier aux échelons territoriaux des administrations civiles de l’État le pouvoir, les moyens et la capacité d’initiative pour animer, coordonner et mettre en œuvre les politiques publiques définies au niveau national et européen, dans un objectif d’efficience, de modernisation, de simplification, d’équité des territoires ». N’en jetez plus ! Non seulement le pouvoir d’organisation bascule vers les régions, mais les objectifs assignés abandonnent l’égalité au profit de la sempiternelle équité et de la « bonne gestion ».
Plus loin, l’article 16 de la charte introduit le fait que « le préfet de région peut, pour la mise en œuvre des politiques publiques et afin de tenir compte des spécificités locales, proposer de déroger aux règles fixées par les décrets relatifs à l’organisation des services déconcentrés de l’État et à la répartition des missions entre ces services ». Autrement dit, les préfets de région pourront demain déroger aux décrets ministériels. Ce ne sont plus des préfets, ce sont des princes !
De la réforme territoriale à la réforme de l’État
La réforme territoriale avait introduit l’administration locale à la carte selon les territoires avec les métropoles à statut spécifique (Lyon, Aix-Marseille-Provence, Grand Paris). L’administration déconcentrée de l’État suivrait donc un mouvement semblable mais à une bien plus grande échelle : celle de toutes les régions et donc de la France !
Les pièces du puzzle s’imbriquent : les nouvelles régions se voient dotées de pouvoirs législatifs, règlementaires et économiques accrus à travers les compétences des futurs conseils régionaux et en parallèle d’une administration à la carte.
La France vole en éclat. En devenant un agrégat de régions largement autonomes, l’appartenance à un collectif humain devrait demain s’inscrire dans un territoire là où l’appartenance nationale se définissait jusqu’à présent par la liberté, l’égalité et la fraternité assurées par l’unité et l’indivisibilité de la République. Charlie, si loin déjà…
Pisani-Ferry, de l’État au Staat
Jean Pisani-Ferry est pour les libéraux le pont entre les deux rives du Rhin pour importer en France le modèle du staat allemand et de ses länder. Nommé le 1er mai 2013 par François Hollande commissaire général de France Stratégie, le Commissariat général à la stratégie et à la prospective, il a notamment remis fin 2014 un rapport franco-allemand (Pisani-Ferry-Enderlein) qui prônait le gel des salaires comme en Allemagne. Professeur d’économie et de politique publique à l’Hertie school of governance de Berlin, directeur du think tank bruxellois Bruegel, membre du Cercle des économistes, du conseil d’administration du think tank Notre Europe, Jean-Pisani-Ferry est par ailleurs président du comité de suivi du crédit d’impôt pour la compétitivité et pour l’emploi (CICE). Pour réformer l’État ou l’atomiser ?