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Juin 12

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Espagne du 24 mai • Le souffle de Madrid

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Crédit photo photosdegauche.fr (Stéphane Burlot)

Quel enseignement tirer du bouillonnement politique espagnol pour les ami-e-s de France ? Rappeler qu’il y a 10 ans, outre-Pyrénées, le Parti populaire (PP) dominait le parlement, qu’il n’y avait ni une grève, ni une once de mouvement social et que le béton et la bière coulaient à flot. À la lumière de ce qui se passe ici en Espagne, il faut convaincre que la flamme se rallume quand on sait écouter et épouser les attentes populaires. Peu de choses sont transposables à priori, axiome de base en politique internationale. Et pourtant.

Revenons d’abord sur le contexte des élections : un terrible défi pour les nôtres. Podemos pouvait-il, avec à peine un an d’existence, former des équipes pour affronter les élections dans 13 régions et plus de 8000 communes ? Le mouvement mauve n’a cessé de grimper dans les sondages jusqu’à être l’objet d’une terrible campagne de déqualification médiatique, doublée de la propulsion par les médias dominants des néo-conservateurs de Ciudadanos, concurrents de Podemos sur le terrain de la transversalité ni gauche/ni droite et de la lutte contre la corruption. A cela s’ajoute, l’intelligente tactique du PSOE qui a su incliner fortement la campagne vers la gauche, en faisant oublier ses reniements passés (TSCG, austérité).

Les résultats sont néanmoins très bons aux régionales. Podemos, progresse et se structure. Le nombre de voix a doublé ou triplé selon les régions depuis les européennes de 2014 : à moins d’un point du PSOE en Aragon avec 20,5%. Izquierda Unida en revanche chute sévèrement sous les 5% et n’a presque plus de députés régionaux à l’exception des Asturies (11,9%). Mais, si on fait la somme des voix de l’autre gauche, il s’agit du meilleur score obtenu depuis Julio Anguita dans les années 1990. Toutefois, Podemos, n’arrive qu’en 3ème position et devra donc permettre au PSOE de gouverner pour éviter le maintien du PP. C’est une situation peu confortable, mais Podemos confirme être l’unique force à échelle nationale pouvant rompre avec le bipartisme et l’alternance PP/PSOE qui scande la politique espagnole depuis la Transition démocratique. C’est essentiel pour sortir nos amis grecs de leur isolement.

Pour incarner durablement l’alternative, il faut croire en la victoire et gagner. C’est ce que nous a ré-appris Podemos. Il faut dérouter l’adversaire, il faut être la première force à gauche, comme le rappelait le vice-président bolivien à Pablo Iglesias dans sa dernière émission, la même où a été invité Jean-Luc Mélenchon. « Gramsci, Lénine, Gramsci », c’est la formule pour Garcia Linera qui a permis la victoire de Morales en Bolivie. Changer la culture politique pour fédérer une majorité alternative, gagner et dérouter l’adversaire de façon organisée. Ensuite, depuis le pouvoir, créer une nouvelle hégémonie culturelle, un nouveau pays.

En Espagne, le 24 mai, cette victoire est venue d’un scénario un peu différent, Podemos se présentant dilué avec d’autres, sous la forme de plateformes citoyennes ouvertes aux mouvements sociaux et aux partis de gauche comme IU, ICV ou Equo. Il avait été décidé au congrès fondateur de privilégier des listes « d’unité populaire », d’autant plus que Podemos manque encore de relais locaux solides. Les municipales ont souvent été le théâtre de bouleversements en Espagne comme en avril 1931, avec la défaite des monarchistes qui a amené la IIde République. Le 24 mai 2015, à Madrid et Barcelone, mais aussi la Corogne, Santiago, Saragosse, la gauche fédérée l’a emporté sur le PSOE. Les clés de cette victoire sont nombreuses : un long processus de maturation collectif qui a commencé il y a un an. Barcelona en Comu et Ahora Madrid ne sont pas des coalitions traditionnelles de type Front, accords électoraux et encore moins « d’union de la gauche » mais des processus citoyens participatifs : financement par micro-crédit/crowdfunding, listes constituées par des consultations ouvertes, programme interactif. Il ne s’agit pas non plus de processus naïfs. On a su tenir compte des partis organisés et de leur force de frappe militante (Equo, IU, ICV). À Madrid, on a par exemple constitué des listes avec un système de vote qui favorisaient les têtes de liste pour éviter un écrasement des résultats par la liste de Podemos. Les programmes sont clairement en rupture, leur contenu reprend la nécessité d’urgence humanitaire anti-austériaire, de re-municipalisation des services publics et d’un nouveau modèle urbain plus écologique. Une façon nouvelle de faire de la politique qui provoque enthousiasme et agglutine les déçus, fédère le peuple, tout en satisfaisant les exigences en matière d’éthique et de transparence posées par les héritiers du 15M, sans sombrer dans l’inefficacité des assemblées populaires de 2011. Il faut enfin comme le rappelle Linera une dose de stratégie, un sens de l’efficacité et, comme à Podemos, une direction qui sait assumer ses responsabilités. Et s’incarner, à l’ère des médias, dans des figures charismatiques centrales : Barcelona en Comu avec Ada Colau ou Ahora Madrid avec la juge Manuela Carmena. François Delapierre ne s’y était pas trompé quand début 2014, il nous avait confié à l’international le soin de détecter en Europe du Sud les figures populaires (en dehors des écuries partisanes fragmentées) aptes à créer l’étincelle dans ces sociétés décomposées, capables d’être le liant qui réunit autour d’elles sur la base de processus collectifs exigeants, un « parti organique » gramscien (au-delà des identités passées).

La victoire à Madrid et Barcelone ouvre des perspectives immenses. Elle démontre que la nouvelle gauche est capable de gagner. Elle sert aussi d’appui à Podemos pour la préparation des élections législatives et fera réfléchir les tenants d’une aile trop transversale et molle, obnubilée par l’électorat du centre. On pourra ainsi à partir du local gagner en légitimité et en « hégémonie », comme l’a fait Rena Dourou en Attique dont la victoire à l’automne 2014 a aidé celle de Syriza dans tous le pays : mesures humanitaires, lutte anticorruption, annulation des contrats passés avec les oligarques. Enfin, Ada Colau et Manuela Carmena acquièrent un rôle diplomatique nouveau pour permettre aux forces en présence de s’entendre à l’automne, afin de simplifier le plus possible la candidature du changement (partis nationalistes progressistes, Equo, IU et ses bastions) et dépasser le PSOE, objectif absolu. Mais pour cela il faudrait inventer une formule d’unité populaire nouvelle à l’instar des municipales, pour convaincre Podemos.

Français-e-s d’Espagne, nous avons accompagné ces processus usant de notre position pour faciliter les rapprochements. Nous suivons et soutenons avec un intérêt tout particulier les processus citoyens mis en place autour de Toulouse, dans le Jura, à Grenoble. Nous collaborons avec leurs initiateurs et y retrouvons la fraîcheur qui souffle depuis Madrid.

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