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Pour prendre l’avion ou le train, passer une nuit loin de chez soi, acheter à manger, se faire coiffer, nous sommes parfois confrontés à des prix imbattables, signés Ryanair ou Easyjet, Formule 1 ou Etap Hôtel, Lidl ou Leader Price, Tchip… Leur point commun ? Le low-cost, c’est-à-dire une offre « simplifiée », des conditions de travail compressées, un consommateur mis à contribution pour rechercher ou commander. S’il demeure assez réduit en France, hors alimentation et transport, le gouvernement Valls est décidé à lui ouvrir grand les portes. La loi Macron prévoit ainsi d’ouvrir des lignes autocars longue distance pour celles et ceux incapables de payer des voyages en train ou en avion. Dans la logique de destruction du service public du rail, les entreprises ont bien compris combien la pauvreté pouvait être un marché très lucratif et organisent le low cost au détriment de l’intérêt général et de notre écosystème.
Bénéfices pervers
Pour générer des profits, une entreprise peut ou bien augmenter sa marge quand elle vend un bien ou service, ou bien vendre plus de biens et services avec une même marge. Le low-cost choisit la seconde solution. En comprimant l’espace et le temps. 156 sièges dans les avions Easyjet, contre 142 habituellement (+10 % de passagers par avion). Escale de 20 minutes (soit 5 aller-retour par jour), contre 45 pour une compagnie classique sécurisée. La sécurité des passagers n’est plus assurée : atterrissages d’urgence pour plusieurs avions Ryanair en Espagne pour cause de manque de kérosène à la suite de pressions à l’économie exercées sur les pilotes.
Dans l’entreprise de bricolage low-cost, on accroît au maximum les horaires d’ouverture, pour un meilleur bénéfice par mètre-carré. Dans l’alimentaire, on vend le plus de nourriture dans le moins de temps possible. Zara sort une collection de vêtements toutes les trois semaines, contre une seule par saison chez les concurrents. La simplification du produit est aussi un mot d’ordre. 700 références chez Lidl, contre 50.000 chez son concurrent moyen. Des hôtels parfois dénués de fenêtre au Royaume-Uni, qui a poussé loin le concept.
Le low-cost, qui met le prix au cœur du modèle, diffuse une vision court-termiste. Comme en Allemagne, il permet durant un laps de temps de faire passer la pilule de l’austérité, en détournant la mobilisation des salariés pour leurs rémunérations vers une mobilisation du consommateur pour chercher les prix accessibles. L’ouverture de lignes d’autocars low-cost, plus polluants que le ferroviaire, ignore complètement les enjeux écologiques de notre temps, permet aux pauvres de se déplacer… et économise une politique favorable au rail.
Un désastre pour les salariés
La compression des coûts passe par la réduction de la masse salariale (30 % du budget chez Air France, 13 % chez Ryanair). On comprend mieux pourquoi des opérateurs aériens anciens ont eux-mêmes lancé de nouvelles filiales low-cost (comme Germanwings, filiale de Lufthansa). Les opérateurs anciens en profitent pour construire de nouvelles filiales, par définition privées d’implantation et d’histoire syndicale. Une aubaine : des bas salaires, et des consommateurs qui font la moitié du travail.
En outre, les salaires doivent être rapportés à des durées de vol plus longues et une intensité du travail plus élevées, ce qui accentue l’écart entre entreprises classiques et low-cost. Chaque année, les pilotes low-cost volent en moyenne 750 heures, contre 600 dans une compagnie traditionnelle. Le personnel de bord est réduit à trois salariés, pour quatre ou cinq dans le même type d’avion en compagnie classique.
Les hôtels Formule 1 déploient des distributeurs de clés, la nuit, pour éviter de rémunérer des gardiens. Les coiffeurs Tchip sont formés à la chasse au moindre geste inutile dans la coupe de cheveux. Retour aux Temps Modernes de Charlie Chaplin… La division internationale du travail et le libre-échange sont des conditions du low-cost : la Logan de Renault est assemblée dans des pays pauvres, H&M se fournit majoritairement en Asie.
Les conditions de travail et la qualité des produits concourent à faire du low-cost un distributeur automatique de maladies, professionnelles ou liées à l’alimentation et au stress.
A nos frais, même sans y recourir
Ryanair et Easyjet sont experts du détournement de fonds publics. 2 millions de la chambre de commerce de Tours, 4 millions à Carcassone et à Nîmes, plus de 7 millions à Beauvais-Tillé… qui s’ajoutent à la subvention publique pour chaque nouvelle ligne. Les compagnies low-cost mettent en concurrence les sites aéroportuaires, afin de choisir celui à la fiscalité la plus généreuse. Le low-cost, oui, mais à condition de le subventionner grassement par nos impôts. Des conceptions libérales bien étranges !
Le prix du billet est marginal dans le bilan des compagnies. Chacune vend un nombre de voyageurs à un aéroport donné (souvent alimenté et dirigé par le public, qui souhaite attirer des flux d’individus) contre des bénéfices financiers. L’objectif est clair : créer des besoins qui n’existaient pas pour des prix modestes, et remplacer, avec l’argent du contribuable, des lignes ferroviaires pourtant écologiquement durables. Comparons les millions d’euros d’aides publiques à l’aérien low-cost et le manque financier criant du ferroviaire en France. Il s’agit d’un choix politique, d’étrangler le rail et fixer des montants exorbitants pour les billets, en subventionnant de l’aérien pour classe moyenne. Rappelons qu’un aller-retour Paris Genève génère, par personne, 30 kilos de CO2 en train, 50 kilos dans une voiture à quatre passagers, et 120 kilos en avion.
Le montage fiscal pour échapper l’imposition est une constante. Les chambres régionales des comptes et la Cour des comptes sont unanimes sur les gaspillage pour les collectivités territoriales que représentent ces subventions – souvent versées à des sociétés intermédiaires, comme AMS ou Airport Marketing Services dans le cas de Ryanair, stationnés à Jersey, ou Leading Verge, sur l’île de Man. En ajoutant fraude et dissimulation de travail, le tableau est bien sombre.
Parfois, le PDG lui-même se sert sans hésitation, comme Ingvar Kamprad, fondateur d’Ikea. Sa fondation (Interogo Foundation) prélève 3% sur chaque vente réalisée, et en accumule le produit au Lichtenstein, via le Luxembourg, la Belgique, la Suisse et les Îles Vierges. D’où une fortune estimée à 30 milliards de dollars, au minimum – pas low-cost comme patrimoine.
Les 10% de revenus les plus bas s’alimentent à 18% en hard-discount, contre 5% pour les 10% aux revenus les plus hauts. Le low-cost repose sur une lutte de classes qui irrigue la production, la distribution et la vente. Son extension menace : une société du prix minimum est une société du salaire et du social minimum. Chaque consommateur est aussi salarié, et le slogan du « dépenser moins » pourrait vite tourner au « gagner moins » si le low-cost s’étendait partout.