Crédit photo Wikimédia Commons – Bundesarchiv,
Comme le pointe Jean-Luc Mélenchon dans son livre Le Hareng de Bismarck, « l’Allemagne est à la tête de l’industrie chimique mondiale, à travers les firmes BASF et Bayer. Leur poids n’est pas seulement économique, mais aussi quasi politique et culturel en Allemagne. » Il en résulte une impunité totale en Europe face aux désastres humains et écologiques entraînés pour leurs productions : armes chimiques, insecticides tueurs d’abeilles, désherbants cancérigènes, nourritures antibiotiques pour animaux, OGM incontrôlables. Illustration avec la firme Bayer.
L’Empire financier de la chimie
En juillet 2013, Bayer a fêté son 150ème anniversaire en grandes pompes à Cologne. La fête n’avait rien de privé. Elle était même présidée par la chancelière allemande Angela Merkel. Quatre ans plus tôt en mai 2009, Bayer Pharma inaugurait son nouveau siège français à Loos dans le Nord. Là non plus l’évènement n’avait rien de privé puisqu’il était organisé en présence de la maire de Lille et présidente de la communauté urbaine Martine Aubry. Celle-ci a investi plusieurs millions d’euros dans le parc Eurasanté où s’installe Bayer. Ce site est même devenu un « pôle de compétitivité Nutrition Santé Longévité » (sic), multi-financé par l’État et la région Nord Pas de Calais. Bayer n’avait pourtant pas vraiment besoin d’aides publiques pour se développer.
Avec 44 milliards d’euros de chiffre d’affaires, le groupe allemand pèse plus lourd que toute l’économie de pays comme la Tunisie ou le Liban. Son actionnaire de référence, l’assureur allemand Allianz en a fait une industrie enchainée à la finance. Il est en tête des firmes expertes en évasion fiscale grâce à des montages complexes au Luxembourg, aux Pays-Bas et en Belgique. Le groupe dégage ainsi d’énormes bénéfices (3,4 milliards en 2014) et ne cesse d’augmenter les dividendes versés à ses actionnaires, qui atteindront la somme record de 1,8 milliards en 2015.
Tout cela résulte des activités variées du groupe dans toutes les dimensions de la chimie : 2ème producteur mondial de pesticides derrière Monsanto, Bayer est aussi le leader européen des OGM. Et une des premières firmes pharmaceutiques européennes.
Un Etat dans l’Etat allemand
En dépit de son implication mercantile très lourde dans plusieurs désastres humains du 20ème siècle, Bayer a toujours bénéficié d’un appui sans faille des gouvernements allemands. Après avoir inventé l’héroïne, le groupe la commercialise massivement à partir de 1896 comme remède miracle contre les maladies respiratoires. Alors que les dangers de cette substance sont progressivement avérés, la firme a longtemps continué à la promouvoir y compris à destination des enfants. Pendant la première guerre mondiale, la firme invente ensuite le gaz moutarde massivement acheté par l’armée allemande qui l’utilise à partir de 1917. Ce « succès » poussera la firme à développer de nombreuses autres armes chimiques. Jusqu’au Zyklon B des chambres à gaz, produit de manière florissante par une de ses filiales. C’est même le dirigeant le plus célèbre de Bayer, Carl Duisberg qui fut l’artisan de la création du Trust IG Farben, appareil industriel d’Hitler, dont Bayer finançait d’ailleurs le parti nazi.
La seconde guerre mondiale voit Bayer utiliser massivement des travailleurs forcés dans ses usines. Et, pire, acheter des lots de détenus d’Auschwitz pour tester ses produits pharmaceutiques ou chimiques. En dépit de cette participation à des crimes contre l’Humanité, Bayer n’a pas été inquiétée après-guerre, en dehors du démantèlement de sa maison mère, IG Farben. Mais les principaux commanditaires des exactions ne furent jamais évincés de l’entreprise. Ainsi, Fritz Ter Meer, chimiste nazi, condamné pour crime de guerre et esclavage au procès de Nuremberg deviendra Président du conseil de surveillance de Bayer en 1956 ! Sans aucun complexe, Bayer a même ensuite donné son nom à sa Fondation pour le développement de l’enseignement pharmaceutique.
L’emprise politique de cette firme dure jusqu’à aujourd’hui. C’est ainsi le directeur financier de Bayer, Heribert Zitzelsberger, qui devint le secrétaire d’Etat à la réforme fiscale de Gerhard Schröder. Et l’artisan d’une baisse drastique des impôts sur les bénéfices des entreprises. Le PDG de Bayer, Manfred Schneider s’en réjouira grossièrement à l’assemblée générale du groupe : « Nous avons envoyé notre meilleur fiscaliste à Bonn. J’espère qu’il a été suffisamment “infiltré” par Bayer pour qu’il engage les réformes nécessaires ».
L’Europe aux ordres
Cette infiltration durable du pouvoir politique allemand par Bayer a eu des effets sur toute la réglementation européenne touchant la chimie. Dans son livre Jean-Luc Mélenchon montre que ce fut en particulier le cas « pour vider de sa substance la fameuse directive européenne REACH sur les produits chimiques. » C’est à dire « réduire le nombre de substances réglementées et assouplir la réglementation de celles qui le restaient. Lors de la négociation de cette directive en 2005-2006, sociaux-démocrates et conservateurs se sont entendus au sein de la grande coalition à Berlin pour défendre au Conseil les préconisations de Bayer et BASF. Et jusqu’au Parlement européen où un accord entre le président du groupe PSE Martin Schulz et le président PPE du Parlement Hans Gert Pottering a aussi fait évoluer la directive dans le sens demandé par les firmes. »
C’est en matière d’OGM que le lobbying de l’industrie chimique allemande est le plus éclatant et dangereux en Europe. A plusieurs reprises le gouvernement allemand a pesé en faveur de l’autorisation de nouveaux OGM ou pour empêcher leur interdiction.
Le cynisme des empoisonneurs
Le dernier exploit européen de Bayer est tout récent : le 24 avril, à la surprise générale, la Commission européenne a autorisé la commercialisation de 17 OGM destinés à l’alimentation humaine et animale. Parmi eux 3 produits de Bayer, dont un maïs particulièrement controversé. Cet OGM est en effet tolérant au désherbant Liberty, le produit de Bayer concurrent européen du Roundup de Monsanto, mais tout aussi toxique et cancérigène. Cet herbicide systémique pénètre au cœur des fonctions des organismes qu’il atteint et contamine toute la chaîne alimentaire et l’eau … jusqu’à l’homme. Le principal composant de ce produit de Bayer, le glufosinate, est même tellement dangereux pour l’homme que l’Union européenne a décidé son interdiction totale pour 2017 ! Mais elle autorise sciemment un OGM qui nécessite de l’employer. Dès 2005, l’Autorité européenne de sécurité des aliments avait par exemple reconnu que le niveau des résidus toxiques dans des aliments traités au glufosinate pose « un risque grave pour les nourrissons ».
Pourtant Bayer continue de vendre ce poison en toute impunité. Comme beaucoup d’autres produits dangereux, tel que son insecticide Gaucho, aujourd’hui interdit en France mais responsable d’une mortalité massive des abeilles. Les colza OGM de Bayer sont aussi particulièrement toxiques. Et la firme ne maîtrise nullement l’impact de tous ces produits. En 2010, elle a ainsi reconnu avoir perdu le contrôle d’un riz OGM qui avait contaminé 30 % des cultures de riz aux USA.
Comble du cynisme, faute d’être punie pour ses crimes écologiques, Bayer s’enrichit en prétendant les réparer. Alors que plusieurs de ses produits sont clairement cancérigènes, la firme vend justement des traitements, très coûteux, contre plusieurs cancers, notamment du rein, du foie et de la thyroïde.