L’hiver 1916-1917 a été rude. La guerre continue à faucher les soldats au front. L’économie sombre. Le rationnement sévit. Les prix s’envolent. Dès 1915, au sein de la CGT, un comité s’est formé pour défendre la cause des femmes exploitées. Ce qui n’empêche pas, dans la même organisation, certains dérapages dénonçant le danger que représentent ces femmes pour la classe ouvrière, tant on les juge incapables de revendiquer.
C’est donc seules que les couturières, les midinettes, de chez Jenny, une grande maison des Champs-Élysées, vont déclencher le 14 mai 1917 leur première grève.
Au prétexte que le travail se fait rare, on leur fait perdre une demi-journée de salaire. Du chômage technique en somme. D’autant plus révoltant que leurs collègues britanniques, elles, pratiquent déjà la « semaine anglaise » : ne pas travailler le samedi après-midi, tout en étant payées. Une espèce de RTT avant la lettre…
D’abord accueillie avec des sourires un peu patelins, la grève est décidée. On ne veut voir que de jolies filles qui rient, sautent et chantent dans les rues de Paris et qui ne savent pas bien ce qu’elles espèrent obtenir. Erreur ! Car déterminées, elles le sont. Et le patronat ne va pas tarder à s’en apercevoir. L’une après l’autre, les maisons de couture s’engagent dans le mouvement au cri de « Nos 20 sous ! ». Lorsque les usines d’armement et les établissements bancaires sont à leur tour touchés, les patrons sourient déjà beaucoup moins. Aux alentours du 20 mai, ce sont bien dix mille travailleuses grévistes qui manifestent pour leurs salaires, certes, mais bientôt aussi contre la guerre. Ce n’est plus « Nos 20 sous ! » qu’on entend dans les rues, mais : « Plus d’obus ! ». Car les grévistes n’oublient pas leurs fiancés, leurs pères, leurs frères, sacrifiés sur le front à une logique de guerre qui n’épargne que ses profits. La « grève joyeuse des midinettes », comme l’avaient surnommée les journaux, devient exemplaire, par l’élan qu’elle a suscité.
Même si le patronat, largement secondé par tous les pouvoirs, a toujours tenté d’escamoter les conquêtes sociales, les solidarités, il reste que les syndicats sont sortis renforcés de la guerre. Grâce aussi à une « grève joyeuse », la grève des midinettes.