Crédit photo photosdegauche.fr (Laetitia Insousciance)
Le 17 juin prochain, à Amiens, se tiendra le procès en appel de militants et salariés de la Confédération paysanne, condamnés en première instance à des peines allant jusqu’à 5 ans de prison avec sursis pour des actions de « dégradation en réunion » et de refus de prélèvement d’ADN. En d’autres termes, une criminalisation de l’action syndicale alors que la Confédération paysanne avait pris ses responsabilités en menant une action symbolique visant à dénoncer l’industrialisation de l’agriculture. On assiste en effet depuis quelques années à un véritable tournant dans l’évolution de l’agriculture française, avec la multiplication de projets de création de fermes industrielles. Derrières celles-ci, de grands groupes agro-industriels liés au monde de la finance, à des dirigeants de la FNSEA ou d’organisations qui lui sont liées. Avec de puissantes actions de lobbies, au nom de la course à la compétitivité de l’agriculture française sur les marchés mondiaux, objectif, on s’imagine, totalement partagé par les libéraux Valls et Macron.
La course mortelle de la compétivité
Cette course à la compétivité est une imposture du point de vue de l’intérêt général. Elle l’est du point de vue économique, car la France trouvera toujours plus compétitive qu’elle sur le marché mondial compte tenu des conditions de production du lait en Nouvelle-Zélande ou des élevages de poulet industriel au Brésil ou de bœuf aux Etats-Unis. Et, dans le même temps, les externalités négatives du modèle agricole qui en découle (coût de décontamination de l’eau, etc.) sont payées par la société ! Mais cette course à la compétitivité est également synonyme de dégâts pour toute la société, en matière sociale et écologique.
En matière sociale, il faut souligner l’effondrement des emplois agricoles depuis des décennies (- 20.000 / an) alors que le chômage ne fait que grimper, mais aussi la précarité de nombre d’agriculteurs (le plus haut taux de suicide dans la population) et les dégâts sur la santé des travailleurs de l’agriculture. Une étude que vient de révéler France Info montre par exemple que les nouveau-nés enfants d’agriculteurs ou de personnes vivant à proximité d’exploitations agricoles sont davantage plus victimes de malformations génitales, du fait des perturbateurs endocriniens présents dans les pesticides.
En matière écologique, le modèle productiviste contamine l’environnement (et donc la population), détruit la biodiversité, repose sur l’utilisation de ressources non renouvelables (énergie fossile, phosphate, etc.) et contribue fortement au réchauffement climatique.
Planifier la transition
Face à cela, une transition vers une agriculture écologique s’impose. Des solutions existent pour une agriculture qui rompe avec ce modèle tout en fournissant des produits de qualité et sains à toute la population. Depuis des décennies, les agriculteurs biologiques innovent en marge du modèle dominant. Ce qu’il s’agit maintenant, c’est de passer à une autre échelle, de se fixer un objectif de moyen terme de généralisation de l’agriculture écologique.
Ceci implique une véritable planification, avec des objectifs clairs et des politiques en découlant en vue de soutenir les agriculteurs s’engageant dans la transition écologique de l’agriculture (agriculture bio, recours aux légumineuses fourragères pour éviter les importations de soja, réintégration des activités agricole et d’élevage afin de substituer les engrais chimiques par des engrais organiques), ainsi que les nouvelles filières d’agriculture biologique. Le système d’aides actuelles de la PAC doit être abandonné au service d’un soutien à la transition écologique. De telles mesures doivent s’accompagner d’un calendrier de limitation progressive des apports d’engrais, pesticides et désherbants chimiques et d’antibiotiques. C’est donc une véritable révolution agricole qu’il faut mettre en œuvre. Elle implique, dans certaines régions de grandes exploitations hyperspécialisées, une refonte de la possession du foncier au profit de petites et moyennes fermes paysannes et écologiques. La transition écologique est par ailleurs incompatible avec les importations à bas prix de soja OGM ou de produits issus d’agricultures et d’élevages industriels ou reposant sur le dumping social. Celles-ci doivent être fortement taxées.
Renforcer l’enseignement et la recherche
L’agriculture écologique est davantage exigeante en savoir-faire. Il faut donc que l’enseignement agricole et la recherche agronomique s’engagent dans un virage à 180° pour enfin être pleinement au service de la transition écologique de l’agriculture. Ils doivent par conséquent être libérés de l’influence des lobbys.
L’agriculture est plus riche en emploi que l’agriculture productiviste. Lors des Assises de la transition écologique de l’agriculture organisées le 23 mai dernier à Paris par le Parti de Gauche, Dominique Marion, ancien président de la Fédération Nationale de l’Agriculture Biologique, soulignait par exemple que l’agriculture bio ne représente que 4% des surfaces agricoles en France, mais utilise 7% de la main d’œuvre agricole. La révolution agricole que nous appelons implique donc que l’agriculture soit capable d’attirer des jeunes et d’offrir des revenus et des conditions de travail et de vie acceptables. Elle implique donc des prix agricoles suffisamment rémunérateurs. Elle doit par conséquent nécessairement s’accompagner d’une hausse des salaires et d’une redistribution des revenus dans la société.
L’industrialisation actuelle de l’agriculture et la course à la compétitivité-prix sur le marché mondial vont à l’encontre de ses principes. Le Ministre de l’Agriculture Stéphane Le Foll a beau prétendre promouvoir l’agro écologie, celle-ci est fondamentalement contraire aux évolutions applaudies par les lobbys de l’agro-industrie et par le gouvernement libéral « PS » auquel il appartient. Avec ces gens-là, l’agriculture écologique restera une agriculture de niche pour les consommateurs les plus fortunés, bien loin d’une réponse aux véritables enjeux de l’Humanité en ce début de XXIème siècle.